Les glaciers himalayens fondent sous l’effet du réchauffement
climatique. Cependant, l’ampleur de cette fonte reste difficile à estimer
par des relevés de terrains en raison du grand nombre de glaciers, de leur
difficulté d’accès et de l’étendue de la chaîne de montagne. Les chercheurs
de l’IRD et du CNRS des unités Great Ice et Legos (1) ont contourné ces
difficultés à l’aide de l’imagerie satellitaire qui leur a permis de
comparer les topographies des glaciers réalisées en février 2000 puis en
novembre 2004 sur une zone exploratoire de 915 km2 dans la chaîne
himalayenne. Un procédé complexe d’extraction de données fi ables à partir
d’images parfois bruitées a été mis au point. Sur la période 2000-2004, il
permet de conclure à un amincissement de 8 à 10 m aux altitudes de moins de
4400 m et à un amincissement moindre mais encore marqué, d’environ 2 m, pour
les zones les plus hautes au-dessus de 5000 m. La même équipe avait
précédemment validé cette méthodologie avec l’appui du LGGE (2) sur les
massifs alpins bien cartographiés. C’est maintenant la première fois qu’un
tel procédé est mis en œuvre sur une zone géographique pour laquelle aucune
donnée de contrôle au sol fi able, donc aucun repère pour “caler” les
images, n’est disponible. Cette évaluation est le premier volet d’un plus
vaste projet : évaluer et surveiller l’ensemble des glaciers himalayens
dispersés sur un territoire grand comme la France.
L’Himalaya, le “toit du monde”, à l’origine des sept plus grands fleuves de
l’Asie, est, lui aussi, victime du réchauffement climatique. Pour estimer la
fonte de ses quelques 33 000 km2 de glaciers, les chercheurs ont eu recours
à un procédé pour lequel ils sont les pionniers : ajuster puis comparer des
topographies de la surface des glaciers obtenues à quelques années
d’intervalle grâce à l’imagerie satellitaire. Après calculs, l’épaisseur des
915 km2 de glaciers himalayens de la région test du Spiti/Lahaul (Himachal
Pradesh, Inde) aurait diminué en moyenne de 0,85 m tous les ans entre 1999
et 2004. Encore expérimentale, cette technique, qui a été validée dans les
Alpes, pourrait se révéler d’une grande efficacité pour surveiller
l’ensemble des glaciers himalayens. Cependant, le procédé pour arriver à une
estimation fiable, doit déjouer bon nombre de causes d’erreurs et
d’approximations propres aux observations par satellites.
Les chercheurs ont commencé par récupérer les données satellites sur deux
périodes, 2000 et 2004. Pour chacune d’elles a été extrait un modèle
numérique de terrain, représentation de la topographie d’une zone terrestre
sous une forme numérique, donc exploitable par un ordinateur. La topographie
la plus ancienne de la zone étudiée a été fournie par la NASA qui a observé
80% de la surface terrestre lors de la mission Shuttle Radar Topography de
février 2000. Puis, en novembre 2004, deux images d’une résolution de 2,5 m
de la même zone prises sous deux angles différents ont été acquises
spécialement par le satellite français Spot5 dans le cadre d’un projet ISIS
(CNES). La comparaison de ces deux images a permis de constituer un nouveau
modèle de terrain par des techniques de photogrammétrie stéréoscopique (3).
Ce modèle fait apparaître que les données radars de la NASA sous-estiment
les valeurs aux hautes altitudes et les surestiment aux basses. Quant au
satellite Spot, il montre une incertitude de +/- 25 m dans le positionnement
horizontal des images. Les autorités des grands pays himalayens (Inde,
Pakistan, Chine) n’autorisant pas l’accès public à des cartes topographiques
ou à des photographies aériennes précises de ces régions transfrontalières
sensibles, aucune référence n’est donc disponible pour estimer et corriger
les erreurs d’observation des satellites. C’est donc en comparant les deux
topographies sur des zones non glaciaires invariantes que les chercheurs ont
pu corriger les déviations et superposer les deux modèles numériques de
terrain. Ces comparaisons permettent d’obtenir une carte des variations
d’épaisseur des glaciers pour des intervalles d’altitude de 100 m sur la
période 2000-2004.
Les résultats montrent un net recul pour les plus grands glaciers dont les
langues terminales descendent le plus bas (environ 4000 m) avec une
diminution de 8 à 10 m de leur épaisseur au-dessous de 4400 m. Cette perte
reste de 4 à 7 m entre 4400 et 5000 m, passant à 2 m au dessus de 5000 m.
L’estimation par images satellites donne un bilan moyen de– 0,7 à – 0,85 m
par an sur les 915 km2 de glaciers étudiés, soit une perte totale de 3,9 km3
d’eau en 5 ans. Afin de vérifier ces résultats et de valider le procédé, les
observations satellitaires sont comparées au bilan de masse sur le petit
glacier Chhota Shigri (15 km2) qui a bénéficié de mesures et de relevés de
terrain, effectués entre 2002 et 2004 par l’unité Great Ice et ses
partenaires indiens. La valeur du bilan réalisé à partir de ces données de
terrain et celle calculée grâce aux données satellites concordent. Pour les
deux méthodes d’évaluation, le glacier du Chhota Shigri aurait perdu en
moyenne un peu plus de 1 m de glace par an.
Ces résultats sont en adéquation avec la fonte des glaciers évaluée dans le
monde entier entre 2001 et 2004. La démarche va donc être élargie à d’autres
zones de l’Himalaya, afin de préciser l’évolution encore mal connue des
glaciers de la région qui constituent une source d’eau dont dépendent des
dizaines de millions de personnes.
(1) Great Ice, Glaciers et ressources en eau
d'altitude - Indicateurs climatiques et environnementaux unité de recherche
de l’IRD 032. Legos, Laboratoire d'études en géophysique et océanographie
spatiales, unité mixte de recherche 065 IRD, CNRS, CNES, Université Paul
Sabatier de Toulouse et le pôle Terre Vivante et Espace (Toulouse).
(2) Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement, université
Joseph Fourier (Grenoble), CNRS, Observatoire des Sciences de l’Univers de
Grenoble.
(3) Technique consistant à calculer une image en trois dimensions à partir
de deux photos du même lieu prises sous des angles différents. Le relief est
ainsi évalué et reconstitué.
Contacts :
YVES ARNAUD
IRD UR 032, Glaciers et Ressources en Eau d'Altitude - Indicateurs
Climatiques et Environnementaux, LGGE, Saint Martin d'Hères
Yves.Arnaud@ird.fr
ETIENNE BERTHIER
CNRS, LEGOS Toulouse
Etienne.Berthier@cnes.fr
RELATIONS AVEC LES MÉDIAS :
presse.ird@paris.ird.fr
Coup de chaud sur le toit du monde
Le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de rendre les
conclusions de son 4e rapport, réaffirmant l’existence d’un réchauffement
climatique moyen de 0,74°C depuis un siècle. Toutefois, certaines régions du
globe, comme l’Asie centrale, demeurent très peu documentées. Une nouvelle
étude menée par des chercheurs français du laboratoire de glaciologie et
géophysique de l’environnement (LGGE, CNRS / Université Joseph Fourier,
Grenoble) et du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement
(LSCE / IPSL, CEA / CNRS / Université de Versailles Saint-Quentin), en
collaboration avec des chercheurs chinois, russes et américains, apporte des
preuves que ce réchauffement récent a aussi affecté les neiges éternelles du
Mont Everest, au cœur de l’Himalaya. Ce résultat a été publié le 7 février
2007 dans le journal européen Climate of the Past.
L’Himalaya et le plateau tibétain constituent deux régions dont l’évolution
climatique est très mal documentée : les stations météorologiques y sont
fort peu nombreuses et les archives climatiques prélevées dans les glaciers,
les lacs ou les cernes d’arbres sont rares et souvent difficiles à
interpréter. Néanmoins, des scientifiques chinois ont réussi en 2001 et 2002
à forer trois carottes de glace au sommet du glacier East Rongbuk recouvrant
le col nord du Mont Everest, à 6518 m d’altitude. Réalisée en collaboration
avec le LGGE et le LSCE, l’analyse de ces carottes a permis de mettre en
évidence l’existence d’un nouveau traceur climatique, la teneur en gaz de la
glace, et ainsi de retracer l’évolution des températures d’été sur ce site
de très haute altitude.
À ces altitudes, la neige de surface fond en partie durant l'été et l’eau de
fonte percole(1) à travers le manteau neigeux pour regeler en profondeur. Ce
processus affecte la densité et la taille des bulles d’air contenues dans la
glace, c’est-à-dire sa teneur en gaz. Cette dernière dépend donc directement
de l’intensité du phénomène de fonte estivale.
En mesurant avec précision la teneur en gaz le long de deux des trois
carottes de glace prélevées sur l’Everest, les chercheurs ont pu suivre son
évolution au cours du temps, en remontant jusqu’à 2 000 ans dans le passé.
Ils ont alors pu observer une diminution très prononcée de la quantité de
gaz piégée dans la glace du 20e siècle, par rapport à celle contenue dans de
la glace plus ancienne, un résultat qui reflète une intensification récente
des épisodes de fonte estivale à la surface du glacier. En effet, même si
une quantification précise de l’évolution associée des températures au cours
du temps n’a pas encore puêtre réalisée à partir de ce nouveau traceur (le
gaz piégé), ces travaux indiquent clairement que le réchauffement climatique
a aussi affecté les neiges éternelles du toit du monde.
Ce travail a bénéficié en France du soutien du programme international de
coopération scientifique franco-chinois du CNRS (dans le cadre du projet «
CLEAH(2) ») et en Chine de celui de l’ambassade de France.
1). L'eau de fonte circule à travers le
manteau neigeux sous l'effet de la gravité.
2). CLimat et Environnement en Antarctique et en Himalaya
Bibliographie
Summer temperature trend over the past two
millennia using air content in Himalayan ice. Hou S., Chappellaz J., Jouzel
J., Chu P.C., Masson-Delmotte V., Qin D., Raynaud D., Mayewski P.A.,
Lipenkov V.Y. et Kang S., Climate of the Past 3, 89-95, 2007.
En ligne sur :
http://www.clim-past.net/3/89/2007/cp-3-89-2007.pdf
Contacts
Contact chercheur
Jérôme Chappellaz
chappellaz@lgge.obs.ujf-grenoble.fr
Contact communication INSU/CNRS
Dominique Armand
dominique.armand@cnrs-dir.fr
Contact presse
Priscilla Dacher
priscilla.dacher@cnrs-dir.fr