Pays
des Écrins
Quelle stratégie touristique ?
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Au Pays des Écrins, le feu couvait depuis
plusieurs mois à l'Office du Tourisme avec un conflit latent
entre son président, en même temps président de la communauté de
communes, et la commune de Puy-Saint-Vincent. Le premier a
démissionné, le directeur est sur le départ et le maire de
Puy-Saint-Vincent prend la présidence provisoire.
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Un
nouveau président va devoir être désigné. Mais au delà des questions de
personnes, il est indispensable de définir au préalable quel tourisme veut le
Pays des Écrins et quels moyens il se donne. Pour définir la stratégie
touristique, il va bien falloir considérer les réalités du moment et les
évolutions prévisibles à court et à moyen termes. C'est d'autant plus
indispensable que celles-ci marquent une véritable rupture avec les dogmes des
années passées auxquels on continue malgré tout à se référer.
Or, il y a rupture dans quatre domaines fondamentaux :
(1) les transports avec une augmentation forte des coûts qui pourrait en
faire l'un des critères principaux de choix d'une destination ;
(2) le climat avec une dépendance de plus en plus grande vis-à-vis des
aléas météorologiques qui se concrétisent par un raccourcissement de la saison
de ski de plus en plus perceptible et donc par des investissements dans ce
domaine de plus en plus risqués ;
(3) l'environnement au sens le plus large avec la prise de conscience
d'avoir atteint les limites au delà desquelles on détruit ce que l'on voudrait
promouvoir ;
(4) les touristes eux-mêmes qui n'acceptent plus des vacances
pré-formatées et dont les exigences en termes de qualité d'accueil et de qualité
d'environnement vont croissant.
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Ces problématiques générales se doublent de faiblesses locales :
D'abord, la notoriété du Pays des Écrins,
malgré un nom qui sonne bien mais au périmètre ambigu, est faible. Les noms de
Vallouise et de Pelvoux, de Dormillouse
l'été, de Puy-Saint-Vincent l'hiver, sont plus connus, mais loin derrière
vallée de la Clarée, Névache et Serre Chevalier, par exemple.
L'effet de la candidature a fait long feu et la
machine doit être relancée. Comme la communauté de communes devrait rester en
l'état dans le cadre de la réforme des collectivités locales, il est nécessaire
de travailler sur ce point et de définir la marque que l'on veut promouvoir.
Ensuite, l'offre en hébergements est
surdimensionnée et non normalisée :
(1) le surdimensionnement, d'une part se
traduit par des locations à prix bradés à Puy-Saint-Vincent, et par la
chasse au remplissage à bas coûts, et d'autre part se double d'un dramatique
défaut de rémunération des hébergeurs locaux ;
(2) l'absence de normalisation est
préjudiciable à une commercialisation dynamique via les moyens actuels. Ne pas
vendre une prestation à sa juste valeur (en plus, comme en moins) revient
précisément à la dévaloriser et ne peut qu'être préjudiciable à long terme pour
l'image de marque.
Enfin, l'engagement en direction de
l'accueil des visiteurs doit être constant et à tous les niveaux. Beaucoup a
déjà été fait dans ce domaine, mais ma sensibilité à ce sujet, en tant que
client moi aussi, capable d'établir des comparaisons, me laisse à penser
qu'il existe une marge de progression importante (1). La
notion d'accueil, omniprésente de partout (2), devient de
plus en plus stratégique.
De plus, faut-il aussi
rappeler que les espaces
utilisables pour le ski, de même d'ailleurs que pour l'immobilier, sont
restreints et pratiquement entièrement exploités, sauf à remettre en cause le
capital environnemental du Pays des Écrins, sa principale richesse,
et certaines de ses activités phares.
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Aux élus et aux socioprofessionnels de
plancher sur les thèmes précédents, mais certains points apparaissent
incontournables :
D'abord, une approche globale au niveau
du territoire est indispensable :
Les querelles de clochers n'intéressent
pas les visiteurs et exaspèrent bon nombre de locaux. Un Office au niveau du
Pays des Écrins est un impératif, ce qui n'empêche pas bien sûr de valoriser
les spécificités locales. Plus audacieusement, une seule station est
indispensable. La situation présente est un non-sens, digne de la situation des
années 1960 en Savoie. Elle affaiblit terriblement le pays et a ainsi rendu
possible l'intrusion d'un acteur extérieur, le Groupe Valmont, dont les
intentions dépassent l'exploitation, de peu d'intérêt pour lui, du domaine
skiable de
Pelvoux-Vallouise. Il est incroyable que ce soit un opérateur extérieur au
territoire qui ait été sélectionné alors qu'il y en avait un tout désigné sur le
canton.
Ensuite, le développement touristique
doit s'inscrire dans une vision à long terme et donc dans une démarche
durable
:
« Que ce qui est développé en ce moment ne
pénalise pas les enfants des acteurs d'aujourd'hui mais au contraire leur
prépare le terrain ».
Le tourisme de demain sera responsable
et durable ou ne sera pas, comme le lance
le Président de la commission Tourisme responsable du SNAV.
L'article (3) liste plusieurs actions qui paraissent de
simple bon sens. Mais rien que la deuxième sur les transports, qui devrait
d'ailleurs être la première, a de lourds impacts et fait partie des points
incontournables car :
Elle impose de revoir les marchés visés
:
Le Pays des Écrins doit devenir une
référence sur sa zone naturelle de chalandise (4) car il a
des atouts que les vallées voisines n'ont pas forcément (5),
et il doit également mieux se faire connaître en France et dans les pays
proches, au besoin en synergie avec le CDT. Par contre, la pérennité des niches
lointaines dans les pays d'Europe de l'Est est hasardeuse pour trois raisons :
d'une part, pour les questions liées à la problématique des transports, d'autre
part parce que ces pays développent leurs propres stations qui seront toujours
plus à bas coûts que les stations françaises à bas coûts et qui au contraire
pourraient bien détourner la clientèle étrangère, et enfin, justement, parce que
le bas coût ne peut tenir lieu de stratégie de développement à long terme.
La diversification des activités doit se
poursuivre et même s'accentuer. Le créneau sportif et compétitif du
ski-alpinisme et des sports d'eau vive est prometteur, mais il va falloir se
développer pour être en mesure de répondre aux exigences d'équipes sportives de
haut niveau. D'autres activités de niches sont sans doute encore à développer,
tant maintenant les touristes souhaitent varier les plaisirs. La richesse
patrimoniale, culturelle et environnementale du pays doit être mieux mise en
valeur, en collaboration avec le Parc National des Écrins, les guides et
accompagnateurs et les associations.
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Le Pays des Écrins a de solides
atouts. À ses élus de voir plus loin que le périmètre de leurs communes et à
privilégier le développement touristique au profit des habitants. La dimension
sociale du développement touristique durable est en effet particulièrement
importante. Permettre aux familles des employés en station d'habiter au plus
près de leur lieu de travail, permettre aux hébergeurs locaux de toucher
une juste rémunération et aux différents acteurs du tourisme de vivre de leur
activité constituent des démarches stratégiques essentielles pour maintenir une
démographie dynamique, laquelle conditionne les maintiens du tissu social, des
écoles (6) et des services publics.
Les stations restent le moteur économique
incontournable du Pays des Écrins. Mais leur dépendance vis-à-vis des
aléas météorologiques, la crise économique, la cherté des transports, une
certaine désaffection de la montagne doivent inciter les communes et la
communauté de communes à se serrer les coudes et à contrôler elles-mêmes et
toutes ensemble leur développement à moyen et à long terme et à ne pas le
déléguer ou le concéder à des entreprises extérieures dont les objectifs sont
d'un autre ordre, notamment dans le domaine financier (7).
Dans cette optique, la restructuration de la SEM les Écrins pour
en faire l'opérateur unique des stations de Puy-Saint-Vincent et de
Pelvoux-Vallouise est une urgence vitale pour la vallée toute entière.
Elle l'est en particulier pour Puy-Saint-Vincent, longtemps réticent (8).
Ce serait un message fort montrant que le Pays des Écrins, au lieu de
tirer à hue et à dia, prend son destin en main.
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Vallouimages
Vallouise, 18 mars 2012
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Notes :
(1) Une réflexion entendue récemment m'a
fait très mal : Ah, si les touristes pouvaient envoyer le chèque et ne pas
venir ... Je la cite, malgré probablement une exagération forcée, car
l'exigence d'un accueil irréprochable et amical est incontournable.
(2) Les moyens de transports collectifs
locaux en font partie, la présence, inadmissible, de commerçants aux prix
abusifs sur le marché de Vallouise aussi.
(3)
http://www.tourmag.com/Le-tourisme-de-demain-sera-responsable-et-durable-ou-ne-sera-pas-_a49287.html
(4) Sa zone naturelle de chalandise, ce
sont les régions PACA et Rhône-Alpes et la région de Turin. Rien n'est acquis
dans ces régions et au contraire tout reste à faire.
(5) Mais ne nous trompons pas dans la
communication, car le Pays des Écrins est aussi en retrait dans certains
domaines par rapport aux vallées voisines. Dans le domaine du ski de piste, il
n'est pas et ne pourra pas être Serre Chevalier, Vars,
Montgenèvre ou Sestrière. Il ne se différenciera donc pas sur ce seul
créneau et la communication devra en tenir compte en intégrant le ski dans un
cadre plus large. En clair, il faut dépasser le cadre station de ski, ce que le
Pays des Écrins peut faire alors que les stations précitées ne le peuvent
pas forcément.
(6) L'absence de la dimension sociale dans
le développement de Puy-Saint-Vincent est ainsi la cause-racine de la
fermeture d'une classe. On constate de plus que la réaction, aussi sympathique
soit-elle, coûte plus que l'action.
(7) La délégation de service public et la
concession ont toutes deux pour principaux défauts de faire perdre aux
collectivités locales le contrôle de leur développement au profit d'entreprises
privées et de transférer hors du territoire les chiffres d'affaires réalisés. En
s'accompagnant de projets immobiliers disproportionnés, dans une situation déjà
de surcapacité, elles porteraient un rude coup aux hébergeurs locaux.
(8) Il l'est pour Puy-Saint-Vincent
à cause de son isolement :
On aurait ainsi en hiver deux stations
concurrentes dans la même vallée dont l'une serait isolée alors que l'autre
pourrait en même temps offrir à ses clients l'accès au domaine
de Risoul-Vars. Il serait tout de même plus logique que
Puy-Saint-Vincent bénéficie aussi de la clientèle de Pelvoux et
Vallouise au lieu de la laisser filer à Risoul. La situation en
altitude de
Puy-Saint-Vincent et la difficulté de stationnement fixent sa clientèle,
mais celle de la vallée a l'immense avantage de permettre d'aller et venir et de
pratiquer diverses activités. On pourrait ainsi voir un transfert de clientèle
du haut vers la vallée, même en hiver.
La situation serait pire en été. À l'heure
actuelle, la politique de commercialisation à bas coûts des lits maintient le
remplissage. Beaucoup de touristes viennent à Puy-Saint-Vincent la
première année, mais s'ils reviennent, c'est en vallée. Demain, ils pourraient
bien venir en vallée dès la première année et le remplissage des hébergements
d'altitude deviendrait critique.
Dans le même temps, les hébergeurs locaux
souffriraient beaucoup des offres promotionnelles que se disputeront les deux
stations.
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