Eh oui, à force de vouloir mettre des anglicismes mal maîtrisés à toutes les
sauces, on sombre un peu/beaucoup dans le ridicule ! La région est gagnée
par une curieuse 'smartitude'. On voit ainsi fleurir des expressions du
type : smart region, smart mountain et même smart station
(1),
la plus idiote de toutes. Ça ne veut rien dire, c’est creux et c’est de la
pure communication pour gogos, dont profitent les cabinets d’études
(2).
Comment oser parler au XXIe siècle de smart mountain quand un maire
des Hautes-Alpes est obligé de défendre l'unique cabine téléphonique de sa
commune faute de téléphonie mobile fiable ou quand on y installe des lignes
THT aériennes comme au XXe siècle ? Sur ce plan, la Savoie est plus smart
que les Hautes-Alpes.
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On se gardera
bien de traduire l'adjectif anglais smart par
« intelligent »,
à
propos de la région, de la montagne, des stations ou d’autres choses. Même
« chic » n'est pas terrible, mais « à la page » ou « branché » correspondent
mieux au contexte. Je retiens ce dernier sens et ramène déjà les choses à un
niveau moins abstrait : « stations branchées », « montagne branchée »,
« région branchée ». C’est toujours fumeux, mais déjà plus compréhensible !
En
fait, les cabinets d'étude utilisent smart pour faire bien et pour
impressionner. Un mot anglais, avec des nuances sémantiques fines, que
personne ne comprend, c'est sûr, ça en impose dans une présentation ! Malgré
le risque de gadgetisation, le contenu et les technologies ne sont
évidemment pas en cause. Mais arrêtons de rêver, cela ne rendra personne
plus intelligent. Par contre, l'habillage et les éléments de langage font
rire jaune : franchement comment peut-on confondre une « station »
touristique, resort en anglais, avec une « gare », station en
anglais, en parlant de smart station. Cet exemple montre à lui seul
que ces mots sont utilisés sans être compris. Pour ne rien dire, justement.
Même quelqu’un comme la maire des Orres, Pierre Vollaire, pourtant l’un des
plus au fait du sujet, s’y est laissé prendre.
D'autant plus qu'on a vite l'impression d'un rideau de fumée destiné à
masquer les énormes fractures sociales, technologiques et économiques qui
existent entre les extrêmes. Il y a un gouffre entre les grandes idées,
encore futuristes et sur lesquelles il faut effectivement travailler, et la
dure réalité du terrain qu'il est urgent d'améliorer au préalable dans de
nombreux domaines, pour que ces projets « branchés » puissent être
crédibles. Certains ont la tête dans les nuages alors que d’autres se
battent sur le terrain, ici, pour un réseau de téléphonie mobile fiable, là,
pour une desserte ferroviaire digne de ce nom, etc. L’urgence est pourtant à
ce niveau : l’urgence, ce n’est pas la « gare branchée », pardon, la
smart station, l’urgence, c’est simplement de disposer d’une « gare
ouverte et fonctionnelle ». Tant qu’un niveau minimal de service pour les
habitants, les entreprises, les touristes ne sera pas opérationnel, la
‘smartitude’ ne fera qu’accroître les fractures sociales, technologiques et
économiques
(3).
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Il est bien évident que tant que les services de base ne seront pas fournis,
tout le reste ne sera que de l’enfumage.
Et les
services de base dans le domaine des communications ne consistent pas à
transmettre au monde ses exploits en ski en direct, mais à pouvoir
communiquer et voyager normalement et rapidement. Tout le reste n’est
aujourd’hui que futilité et accessoire par rapport à la mauvaise qualité,
voire à l’absence de l’indispensable.
Le succès touristique d’un pays dépend plus de la qualité de vie offerte aux
habitants et aux entreprises locales que de la couleur des bonbons en sucre
offerts aux touristes.
(1)
Montgenèvre, première smart-station de montagne, Juliette Pic,
Tourmag.com, 3 décembre 2017.
Montgenèvre, la première "smart-station" est en marche, Le Dauphiné
Libéré, 23 novembre 2017.
(2)
Ils auraient bien tort de s’en priver s’il ne
s’agissait pas d’argent public, mais ils doivent bien s'amuser.
(3)
À
titre d’illustration, je partage la description de la réalité de la gare de
Mont-Dauphin – Guillestre (nom officiel de la gare), qui dessert tout de
même le Queyras, le Guillestrois, jusqu’à la haute Ubaye, telle que l’a
donnée Christian Grossan le 11 janvier 2018 sur sa page Facebook.
C’est à prendre en considération, car il est maire de Ceillac, président du
Parc naturel régional du Queyras, estimé et respecté, et il n’écrit jamais
pour ne rien dire.
« Je reçois
avec
intérêt les informations relatives aux promotions tarifaires sur les lignes
T.G.V.
Quel usage pourrais-je en faire puisque pour rejoindre les gares TGV les
trains sont ou inexistants ou aléatoires.
Le comble : le hall de la gare d'Eygliers-Montdauphin, vraisemblablement
chauffé, brille de l'éclat de ses néons mais les portes sont closes et un
panonceau invite les voyageurs à "rejoindre les quais par le portillon
latéral".
En fait la commune et non la SNCF paie
l'électricité !
Mieux encore.
Un passager prend le train a Mont-Dauphin
(gare fermée) donc sans billet. Il a pu accéder au quai par le portillon
latéral !
Le contrôleur ne peut lui éditer un billet sa
"machine" est en panne. En revanche, il est en mesure de dresser une
contravention pour voyage sans billet...
C'est, hélas, la relation de la situation que
vivent les habitants et leurs visiteurs et non des égarements fantaisistes
d'un citoyen aigri. »
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Références :
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