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D’un sigle à l’autre, ou comment le président de la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier, veut remplacer le sigle
PACA par le sigle SUD.
Malgré le nom officiel de la région visible sur le panneau en
arrière-plan de la photo, le président de région introduit la
« région SUD ». Écrit ainsi, en majuscules, il s’agit d’une
abréviation, ou plutôt d’un sigle, qui préfigure l’acronyme « Sud ».
Mais on voit mal l’intérêt d’un nouveau sigle ou acronyme pour
désigner la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, seul nom officiel.
Avec bien sûr
l'affirmation fumeuse de la région Sud, première smart region
d'Europe, qui pose question. |
Ci-contre,
page Facebook de Renaud Muselier, 10 janvier 2018.
Cliquer sur la photo
pour une version agrandie. |
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D’une
part, tout le monde, sauf apparemment son président, sait ce que « Paca »
veut dire. Quant à « Sud », il n’y aura vraiment que les initiés (et vous
pouvez sauter au paragraphe suivant si vous n'êtes pas initié !) qui
sauront que SUD est un sigle pour Smart united departments, en
français les « chics départements unis » ou mieux les « départements unis
branchés » (1).
Eh oui, à force de vouloir mettre des anglicismes mal maîtrisés à toutes les
sauces, on sombre un peu/beaucoup dans le ridicule ! La région est gagnée
par une curieuse 'smartitude'. On voit ainsi fleurir des expressions du
type : smart region, smart mountain et même smart station
(2),
la plus idiote de toutes. Ça ne veut rien dire, c’est creux et c’est de la
pure communication pour gogos, dont profitent les cabinets d’études
(3).
Comment oser parler au XXIe siècle de smart mountain quand un maire
des Hautes-Alpes est obligé de défendre l'unique cabine téléphonique de sa
commune faute de téléphonie mobile fiable ou quand on y installe des lignes
THT aériennes comme au XXe siècle ? Sur ce plan, la Savoie est plus smart
que les Hautes-Alpes.
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D’autre part, si la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est bien localisée
pour les Français et beaucoup d'étrangers, il n’en serait pas de même pour
une région Sud, dans la mesure où celle-ci descendrait moins au sud que ses
deux voisines occidentales, l’Occitanie et la Nouvelle Aquitaine. Le sud de
la France est une notion trop floue, non liée à un territoire, pour créer
une adhésion que « Provence-Alpes-Côte d’Azur », même vilainement réduit à
« Paca » avait néanmoins réussi à initier. Voici d’ailleurs ce que disait le
sénateur du Loiret, Jean-Pierre Sueur à propos de l'ancien nom non
territorialisé de la région Centre, renommée Centre-Val de Loire : « Le
nom de notre région lui porte préjudice ; il ne la définit pas ; il ne la
désigne pas ; il ne l’identifie pas ! Beaucoup de Français ne savent pas où
est la région Centre. Et nombre d’étrangers le savent encore moins » (4).
Ce serait la même chose pour une très hypothétique région Sud, avec ce nom
déterritorialisé.
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Reste
la notion de
« marques »
qui seraient utilisées pour nommer la région et ses composantes alpines et
azuréennes. Mais là, seule la marque Côte d’Azur a déjà une image forte
clairement définie et territorialisée, une marque Alpes concerne aussi bien,
sinon plus (oh !), les Alpes du Nord que les Alpes du Sud et Maritimes et,
comme on l'a vu précédemment, une marque Sud est ambiguë faute de territoire
défini. De plus, son intérêt serait nul dans une communication
internationale.
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Avec
son initiative malencontreuse par le biais des marques, pensant être plus
malin que ses prédécesseurs qui ont dû renoncer
(5),
Renaud Muselier a rouvert la boîte de Pandore. On voit ainsi réapparaître un
mouvement et une pétition en faveur d’un nom unique « Provence », qui
évidemment se heurte toujours à l’opposition des départements alpins et de
la Côte d’Azur. On a déjà répondu sur ce sujet dans un article toujours
d'actualité
(6).
Inutile d’y revenir.
Toutefois l'un des nouveaux arguments
(7)
appelant les Alpins à signer la pétition mérite qu'on s'y arrête :
« Les
alpins actuels, il ne faut pas oublier, sont ligures à l’origine. C'est à
dire des habitants de l'actuelle Provence venus coloniser, dès le 5ème
millénaire avant J.-C., les Alpes par la transhumance au fur et à mesure que
les glaces fondaient et qu’il n’y avait pas d'habitants. Ce n’est qu’au 3ème
millénaire que d'autres alpins venant du lointain Oural se sont mêlés à eux.
Donc, notre base sociale est bien faite, dès l'origine, d’une forte
proportion de ligures, futurs provençaux. »
Outre la réécriture orientée et fausse
sur plusieurs points importants d'une histoire encore largement méconnue
mais que les recherches archéologiques menées ces dernières années dans le
massif des Écrins permettent de mieux en mieux
appréhender, il fallait oser justifier le nom Provence par une bien
hypothétique origine ligure commune remontant à 7 millénaires en arrière !
Ahurissante, une phrase pareille :
« Les alpins actuels, il ne faut pas
oublier, sont ligures à l’origine. »
Non. Les Alpins actuels viennent d'un peu partout, une analyse élémentaire
de l'évolution de la démographie depuis le début du XXe siècle montre un
grand renouvellement de la population de nos départements alpins
(8) et beaucoup d'Alpins actuels,
comme d'ailleurs beaucoup d'habitants de la Provence stricto sensu et
de la Côte d'Azur, viennent en réalité de toutes les régions de France et
même d'autres pays européens.
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En définitive, la
conclusion est la même : puisque « Paca » donne à juste titre des boutons à
certains, contentons-nous d'appeler la région par son nom officiel :
« Provence-Alpes-Côte d’Azur » et laissons tomber son acronyme
(9).
Au président de montrer l’exemple au lieu d'en introduire un autre !
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(1) On se
gardera bien de traduire l'adjectif anglais smart par
« intelligent »,
à
propos de la région, de la montagne, des stations ou d’autres choses. Même
« chic » n'est pas terrible, mais « à la page » ou « branché » correspondent
mieux au contexte. Je retiens ce dernier sens et ramène déjà les choses à un
niveau moins abstrait : « stations branchées », « montagne branchée »,
« région branchée ». C’est toujours fumeux, mais déjà plus compréhensible !
Article complet :
Provence-Alpes-Côte d'Azur
– La 'smartitude' en question,
Vallouise Magazine, 10 janvier 2018.
(2)
Montgenèvre, première smart-station de montagne, Juliette Pic,
Tourmag.com, 3 décembre 2017.
Montgenèvre, la première "smart-station" est en marche, Le Dauphiné
Libéré, 23 novembre 2017.
(3)
Ils auraient bien tort de s’en priver s’il ne
s’agissait pas d’argent public, mais ils doivent bien s'amuser.
(4)
Il y a un an les régions françaises changeaient de noms, Christophe
Camarans, RFI, 28 septembre 2017.
(5) Une première
tentative (Michel, Vauzelle, 2009) avait mis en avant le nom
« Méditerranée » mais l'affaire avait
vite été abandonnée devant la levée de bouclier des départements alpins et
azuréens. Une
deuxième (Christian Estrosi, 2016) avait mis en concurrence « Pacalie »,
à partir de l'acronyme « Paca », « Bas-de-France » dans la logique de la
région des Hauts-de-France, et « Alpes-Méditerranée ». Les deux premières
propositions, plutôt provocatrices pour favoriser la dernière, avaient vite
été éliminées, mais la tentative avait également tournée court devant
l'impossibilité d'un consensus. On notera que ces tentatives avaient encore
donné lieu à de vaines dépenses d'études.
(6)
Provence-Alpes-Côte d'Azur - En
finir avec l'acronyme « Paca », Vallouise Magazine, juin 2015.
(7) Transmis par un ami sur sa page Facebook.
(8) La croissance de la population des départements alpins (+0,2 % dans les
Alpes-de-Haute-Provence et +0,6 % dans les Hautes-Alpes) est tirée par un
solde migratoire positif (respectivement +0,3 % et +0,5 %) qui compense un
solde naturel négatif (-0,1 % dans les Alpes-de-Haute-Provence) ou atone
(+0,1 % dans les Hautes-Alpes) selon les dernières données INSEE, fin
décembre 2017.
(9) La règle que je m'impose de limiter au maximum l'usage des sigles et
acronymes, par exemple en écrivant ou prononçant
« Provence-Alpes-Côte d’Azur », montre qu'avec un peu de bonne volonté la
chose est réalisable.
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Références :
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