Compte-rendu
Les montagnes représentent 20% de la surface mondiale de
terres émergées, objet des ressources naturelles du
développement durable. En milieu montagnard l'eau coule
naturellement en abondance, et représente un capital
économique, industriel et démographique incontestable.
L'homme et
l'eau en milieu alpin
C'est autour de cette thématique que se sont réunis
historiens, géographes, anthropologues, sociologues,
archéologues, ... pour traiter de la complexité de la
gestion de l'usage de l'eau dans l'espace alpin.
Autour de 4400 à 800 av. J.-C., des centaines de
villages ont été établis dans les zones marécageuses
ainsi que sur les rives des lacs alpins (Suisse, Savoie,
Allemagne du sud, Autriche, Italie du nord et Slovénie).
Différentes approches ont été présentées quant à la
France, l'Italie, la Tunisie, le Maroc, l’Asie et la
Russie, car les montagnes sont les révélateurs précoces
des changements physiques, sociaux, économiques et
culturels. Ces études doivent être poursuivies pour
mieux connaître les écosystèmes et les impacts des
nouvelles utilisations de l'eau, si l'on veut atteindre
le bon état écologique préconisé par la directive
européenne.
La
disponibilité de l'eau a toujours constitué la condition
nécessaire aux implantations et activités des sociétés
humaines. Sa disponibilité n'étant pas toujours
manifeste, l'homme a alors exploité ses capacités
instructives. Autour de la construction des canaux
d’irrigation s’est modelée et caractérisée la société
locale, dans le sens biologique et culturel. Le rapport
homme-eau, en milieu alpin, créé par ces canaux persiste
encore de nos jours ; ces ouvrages en milieu naturel
présentent un intérêt touristique, par des parcours
organisés, et visent à transmettre la mémoire du passé.
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Usages de l'eau
Dès le XIXe siècle, les Alpes, région d'émigration, a
enregistré une croissance économique, liée d'abord au
développement du tourisme (grâce à l'extension des
réseaux des communications). Puis, l'apparition de
nouvelles formes de sport d'eau "vive", au XXe siècle,
dynamisent tout un secteur d'activité comme
l'hôtellerie, les transports, les ventes de produits
régionaux.
Les Us et Coutumes des habitants, l'histoire de
la vallée de Vallouise et le contexte géologique sont
des facteurs qui contribuent à la compréhension des
comportements et des rapports de ses occupant entre
l'eau et ses usages. Entre l'eau sauvage et
l'eau domestique, les modes d'utilisation des
différentes catégories populationnelles sont
hétérogènes, qu’ils soient résidents locaux, retraités
urbains ou touristes. Si les vallées alpines, sont bien
pourvues en eau, pour les populations alpines, à
l'exception du Valais, boire de l'eau n'est pas un geste
naturel, on ne boira jamais de l'eau sortant d'un
glacier. Dans la tradition orale et dans la pratique,
l'eau est estimée avec beaucoup de méfiance ; après un
effort, l'eau "crue" est considérée comme
particulièrement dangereuse, seules les boissons
fermentées -le vin- et l'eau cuite en infusion ne gênent
pas le processus digestif.
Une étude menée en 2004 (CNRS UMR 51) a montré que les
savoyards consomment moins d'eau en bouteille (minérale
et de source) et plus d'eau gazeuse, que leur choix
dépend de leur âge (ce sont les plus jeunes qui boivent
l'eau des torrents) et leur degré d'attache familiale à
la région.
Dans les Alpes occidentales italiennes, la pratique de
la rhabdomancie (chercheur d'eau), pour fournir un
approvisionnement en eau des zones difficiles (alpages,
culture en montagne) est une méthode empirique à
transmission orale, fortement enracinée dans les savoirs
des communautés alpines.
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Droit à l'eau
Depuis quelques années se dessine, au plan
international, un droit à l'eau qui vise principalement
l'approvisionnement en eau potable.
La
disponibilité de l'eau a toujours conditionné les
installations et les activités humaines alpines, or, cet
accès à l'eau implique la pérennité des sources et une
gestion écologique rationnelle.
Les canaux Briançonnais sont nombreux dans les zones
urbaines. Creusés, pour la plupart au Moyen Âge, l’usage
de l’eau était strictement réglementé, seuls les « pariers »
qui disposaient de la « marque » étaient autorisés à
irriguer à un jour et à une heure précise. Cette règle a
été, depuis, assouplie mais il est interdit aux
riverains de brancher un tuyau d’arrosage en permanence.
Depuis 700 ans, ces canaux ont perduré grâce aux
associations qui ont assuré leur maintenance.
Le
droit à l’eau implique de penser l'homme dans son
environnement pour aboutir à une redéfinition de
l'intérêt général, donnant ainsi une assise à une
gestion durable de l'eau. L'exploitation des champs de
neige et des glaciers, pour se procurer et
commercialiser la glace à rafraîchir est une pratique
qui a marqué le milieu montagnard depuis la Renaissance.
À cette époque et jusqu'au premier quart du XX° siècle,
l'eau gelée est entrée dans les circuits commerciaux en
influant sur l'environnement naturel, social et culturel
de la montagne. Ainsi, le développement de ces inter-actions ville-montagne en accélérant le
désenclavement des contrées montagneuses a aussi
entraîné l'épuisement ou l'altération des ressources.
C’est ainsi que l’état tunisien, afin de contrecarrer le
phénomène de dégradation par l’érosion hydrique, a
développé différentes méthodes de conservation des eaux
et des sols par la construction d’un millier de petits
« lacs collinaires » en amont des cours les plus actifs.
La méthode proposée est celle d’une segmentation
hydrodynamique des parcelles, car c’est essentiellement
en fonction des conditions climatiques et anthropique
que le milieu naturel subit des changements journaliers,
mensuels et/ou annuels des ses structures.
Alors que dans le Haut Atlas marocain, la répartition de
l'eau s'opère selon une réglementation très rigoureuse
et un rythme de temps bien respecté, découlant des
anciennes traditions, les ressources d'eau sont
directement utilisables à des fins anthropiques (fontes
des neiges, eaux souterraines accessibles). L'eau
destinée à l'irrigation est une propriété privée,
indépendante de celle de la terre; elle est répartie
entre ayants droit et peut être vendue ou louée
Toutefois, l'abondance relative de l'eau dans cette
région montagnarde rend superflue toute réglementation
pendant l'année, sauf en période touristique.
Un
tout autre principe régit le flux fécondant de l’eau, en
Asie du S-E, organisé autour d’un axe vertical, qui a
une signification religieuse. Il relie une région
supérieure, un amont chargé de forces ancestrales et
sacrées, à un aval qui est une région mauvaise où se
perd la force de vie. Dans la conception taoïste de
l’Univers, le principe sacré circule et revient à son
point d’origine.
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Symbolisme de l'eau
L'eau des Alpes est le symbole d'une ressource abondante
et naturelle ; un approvisionnement régulier en eau pure
est fondamental pour la vie et la santé des hommes. Si
elle est essentielle dans tous les actes de notre vie,
des valeurs culturelles et religieuses lui sont
attachées, au point d'influencer le choix de certains
toponymes et la distribution spatiale des patronymes en
relation avec l’eau. Les montagnes ont été, et parfois
encore, considérées comme demeures des divinités, comme
source sacrée des nuages et des pluies qui alimentent
les sources, les fleuves et les lacs.
Les recherches archéologiques ont permis de reconnaître
une représentation de l'association d'un milieu
souterrain à l'imagination humaine, phénomène qui se
réfère à une ligne chronologique depuis le
Paléolithique, selon un caractère archétypal.
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Pathologies
passées et présentes liées à l'eau
L’étude des paléo-environnements fluviaux a montré le
rôle des facteurs abiotiques (changements climatiques
influençant les flux d’eau et de matériaux) et biotiques
(animaux « ingénieurs de l’écosystème » comme les
castors, responsables de la paludification) sur leur
développement au cours des derniers millénaires. Les
travaux d’écologie historique concernant l’époque
moderne montrent en revanche le rôle essentiel de
l’homme sur leur genèse, leur conservation ou au
contraire leur disparition.
La
crise alimentaire, induite par la dépression climatique,
qui survint entre le 3e et 4e millénaire av. J.-C., a
poussé les populations néolithiques à un changement
diététique important. La consommation accrue de poissons
d'eau douce entraîne le développement de nombreuses
parasitoses. L'analyse paléoparasitologique de 137
échantillons, issus de 16 anciennes cités lacustres
néolithiques de Suisse orientale et de l'Allemagne du
S-O, ont mis en évidence de nombreux oeufs d'helminthes
conservés, attribués au genre Diphyllobothrium
sp. l'Opistorchis sp. et Dioctophyma sp.
qui apparaissent comme des pathoparasitoses majeures à
cette période. La résurgence actuelle de la
Bothriocéphalose, en relation avec les nouvelles
"habitudes alimentaires" des européens de ces régions,
prouve que les conditions environnementale sont restées
propices au développement du parasite pendant 6000 ans.
Actuellement, selon les directives européennes 2000/60,
le monitorage biologique se base sur l'emploi de
paramètres biotiques comme indicateurs de l'état de
santé de l'écosystème.
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Thermalisme alpin
D’un point de vue géostructurel, les sources considérées
ont leurs aires d’alimentation, leurs circuits
souterrains et leurs sources d’émergence au cœur du
système alpin.
Les eaux différentes, par leurs compositions en matières
dissoutes et notamment en électrolytes, sont des
éléments fondamentaux pour comprendre la spécificité de
chaque eau vis-à-vis d’une pathologie donnée.
Dès l’Antiquité, à Rome, les eaux et les boues étaient
utilisées pour traiter les douleurs articulaires,
infections de la peau, gynécologie, séquelles de
brûlures…
Les Romains sont intervenu dans la gestion de l’eau des
Alpes dès l’intégration de ces montagnes dans l’Empire
romain. Ainsi, les origines des villes de cure datent
des Romains qui maîtrisaient parfaitement les techniques
du thermalisme, les conduites des eaux chaudes et
froides étaient séparées. Grands amateurs de bains
chauds, les romains virent tout le parti qu’ils
pouvaient tirer des sources chaudes et créèrent des
établissements où les soldats romains pouvaient se
refaire une santé.
Les sources thermales connues des autochtones, sont
exploitées au XIXe siècle par des établissements de
cure. La naissance de l'industrie, les installations
ferroviaires, servent de base à la conquête touristique
des champs de neige en hiver, et des Alpes en général.
où, le thermalisme devient une activité très
médicalisée, visant à soigner ou soulager des personnes
plus ou moins lourdement malades.
De
même au XIXe siècle, les établissements thermaux du
Caucase sont très fréquentés par la haute aristocratie
russe très friande des nouvelles avancées médicales en
ce domaine. Les cures drastiques prescrites par les
médecins personnels de ces familles sont éprouvantes,
des effets souvent contradictoires, voire dangereux pour
leur santés se manifestent.
La
comparaison entre le Caucase du Nord, près de la mer
noire, et le Kamtchatka, situé au bord de l’océan
Pacifique est d’un intérêt substantiel.
Le
Caucase du Nord a la même origine tectonique, le même
âge et la même composition géologique que les Alpes
actuelles, ce qui permet une analyse comparative entre
les caractéristiques des eaux thermales et leur
utilisation. Par contre, le Kamtchatka est un des plus
jeunes systèmes montagnards de la planète, son jeune âge
nous renseigne sur l’évolution des Alpes depuis leur
formation. Si les sources thermales de cette régions
sont dangereuses et inexploitables pour la santé, des
études sont menées quant à l’utilisation énergétique des
résurgences et geysers existants.
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Conclusion
Les rapports entre l’homme et l’eau en milieu montagnard
sont connus depuis le Néolithique. De l’eau sauvage
à l’eau domestique, la disponibilité de cette
ressource vitale a toujours conditionné les
implantations humaines. L'eau douce de montagne
maintient en vie de nombreux habitats naturels, en
altitude comme en plaine, contribuant ainsi à la
conservation de la diversité biologique.
Après avoir inspiré crainte et respect, les Alpes sont
devenues le symbole de la force de la Nature et de la
Santé, elles se sont transformées en immense réserve
thérapeutique à la fin du XIXe siècle, par une
fréquentation bourgeoise friande de thermalisme.
Le
tourisme emprunte le même chemin et, selon les thèses du
développement durable, l’offre doit permettre un
développement équilibré, en accord avec les
potentialités d’une région, sans porter atteinte aux
ressources qui caractérisent ce secteur. Par sa démarche
participative impliquant les entités publiques et
privées, ainsi que la population, une résolution
préconisant des solutions efficientes économiquement,
respectueuses de l’environnement et socialement
solidaire se met en place.
Lors de cette Université d’été, les communications ont
suscité, en croisant des axes phénoménologiques :
historiques, géographiques, anthropologiques,
sociologiques, archéologiques…une réflexion scientifique
sur la construction anthropologique des relations entre
l’homme et l’eau en milieu montagnard.
Parce que la montagne est riche d'intérêts pédagogiques.
Parce que les champs d'intervention sont variés et
complémentaires autour de la montagne. Parce qu'enfin la
montagne a ses caractéristiques, ses enjeux, ses
espoirs, les Alpes conçues comme région naturelle
constitue une représentation qui a son histoire à
transmettre comme patrimoine commun.
Michèle Aquaron
Contact presse UEE 2006
Association des Anthropologues de l'Arc Alpin- A4
Organisation
UMR 6578 Adaptabilité humaine : Biologie et
Culture - CNRS/Université de la Méditerranée -
Faculté de Médecine - Centre - Marseille
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10e
Université d'Été d'Anthropologie des Populations alpines
- Juillet 2007
La mort en montagne
9e
Université d'Été
d'Anthropologie des Populations alpines - Juillet 2006
Alimentation et
Montagne
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