Anthropologie des
Populations alpines
9e Université
Européenne d'Été - Juillet 2006
Alimentation et Montagne
Produire, transformer, conserver, consommer
Compte-rendu
L’alimentation et les aliments, nécessitent une approche
comparative. Les orientations de recherche menées
aujourd’hui par la sociologie et l’anthropologie posent
le problème du mode de lecture des relations de l'homme
avec son alimentation. À travers les diverses
interventions présentées, nous constatons qu’une
nouvelle image de l’alimentation montagnarde se
construit actuellement. Parmi les caractéristiques des
régions montagneuses, l’aspect géographique ( relief,
climat et sol ) est le plus prégnant. S’il a été la
cause de handicap, en terme de développement, par le
passé, il semble qu’il soit, aujourd’hui, possible de
s’en prévaloir avantageusement malgré l’isolement qu’il
confère à certaines populations.
Lors de cette IXe Université Européenne d’Été, nous
avons participé à un voyage initiatique nous menant de
la Préhistoire à nos jours, grâce aux archives, aux
données archéobotaniques, ethnobotaniques et
archéozoologiques. Les aspects historiques,
sociologiques et scientifiques rappèlent que le régime
alimentaire - du fait des traditions et d’un accès
parfois rapide à la modernité - reflète à la fois le
mode de vie, l’organisation sociale et comment il peut
influencer la morphologie corporelle des populations.
Les Hautes Alpes, la Corse et les Pyrénées nous
renseignent sur l’extrême dépendance des populations
face aux conditions naturelles avec, en filigrane :
l’Afghanistan, l’Amérique Latine, Les Andes, l’Arctique,
la Bolivie, le Burkina Faso, l’Écosse, l’Espagne,
l’Himalaya, l’Italie, Le Liban, Madagascar, le Maroc, le
Mexique, la Nouvelle-Guinée, le Pérou, la Slovaquie, la
Suisse, la Syrie et le Togo. Les traces archéologiques
fragmentaires ( qui ont révélé la diversité des
ressources alimentaires ) et les études des squelettes,
constituent une documentation privilégiée pour la
restitution des états sanitaires des populations
passées.
Hommes, Nature et Société sont associés dans le registre
de la « Nature consommée ». Les plantes sauvages, les
systèmes d’agriculture, de chasse, de pêche (les
poissons d’eau douce constituent une source fondamentale
de protéines animales, particulièrement dans les zones
montagneuses enclavées) le savoir-faire culinaire des
montagnards marquent l’existence possible ou probable de
régimes alimentaires spécifiques à cet espace. Nommer le
produit participe à faire « consommer » la Montagne,
car l’altitude est supposée conférer une typicité accrue
aux hommes et aux produits qu’elle sécrète.
Parmi les cas particuliers abordés, celui des bergers et
de l’alimentation pastorale. Soumises aux contraintes
liées à la présence des troupeaux dans l’alpage,
structurée sur l’opposition « le frais » et « le
conservé » les pratiques individuelles visent à
optimiser les possibilités des ressources de la montagne
et de l’activité d’élevage. De l’autosuffisance à la
marginalisation économique, l’élevage dans les montagnes
« riches » et les montagnes « pauvres » est une pratique
largement répandue (petite production fromagère et
consommation de viande occasionnelle). Cependant, quand
un produit « du « terroir » chargé de valeur identitaire
devient un enjeu national de l’intégration européenne
(exemple du fromage slovaque Bryndza), le savoir-faire
traditionnel des bergers est délaissé au profil de
grosses fromageries aux techniques industrielles, très
rentables économiquement, mais qui risquent d’entraîner
l’abandon des pratiques traditionnelles.
Les normes sanitaires européennes, strictes, conduisent
aux changements des pratiques artisanales du « fumé »,
des charcuteries, des fromages, des confitures
(confiture de lait en Amérique Latine) restés longtemps
des produits régionaux. Inversement, le goût pour le
maintien des traditions se renforce (la Mouné du Liban,
olives des Kurdes, pomme de terre Pampacana du Pérou,
Fonio des Monts Togo) et accroît la production
domestique par les consommateurs locaux. Les changements
économiques, dus au thermalisme et au tourisme, la
redécouverte des activités traditionnelles, le
rapprochement des citadins et de la nature, ont
certainement influencé ces attitudes.
Ensuite, l’alimentation des sportifs en altitude est
sous une influence tout à fait différente elle est
construite dans une modernité de l’effort (pour l’espace
alpin) voire de l’extrême (pour l’espace himalayen). Les
conditions du milieu conduisent à employer des
nourritures déterminées (aliments de longue
conservation). L’urbain qui va en montagne s’attend, le
soir au refuge, à consommer de la gastronomie locale
spécifique, un besoin de « terroir », d’authenticité.
Pour les autres catégories, le besoin d’aller plus haut,
plus loin, plus vite l’emporte sur le désir
gastronomique. Lors de sortie de plusieurs jours avec
bivouac, il est nécessaire d’emporter des aliments
légers et efficaces (aliments lyophilisés, barres de
céréale, fruits secs) pour emmagasiner des sucres lents
indispensables aux longues courses. Le rapport personnel
à cette pratique sportive est d’emporter le strict
nécessaire. L’alimentation portera l’appellation
symbolique de « vivres » Elle est dans une situation
paradoxale, car il s’agit d’une nourriture très
industrialisée (conditionnement …).non « traditionnelle
».
En conclusion, le relief a permis la conservation
d’espèces dont certaines sont de véritables compléments
alimentaires et quelquefois de survie (plantes dites de
« famine » permettant aux populations de survivre après
de mauvaises récoltes). Les produits agricoles et
alimentaires locaux, traditionnels, croisent l’économie,
le social et le culturel, dénommés de façon générique
« produits de terroir ». Ils donnent lieu à une
valorisation dynamique, répondant parfois à des
trajectoires très innovantes, contrairement aux idées
reçues qui ont eu tendance à les reléguer au rang de
productions obsolètes et sans avenir. Ainsi s’édifie une
véritable succession d’initiatives visant à identifier,
conserver, protéger, valoriser les plantes, les animaux,
les produits locaux et retrouver, à partir des vestiges,
les traces alimentaires de nos ancêtres.
Si
l’on observe des mutations socio-économiques et
socioculturelles à partir de produits nouveaux, la
« modernisation » des modes alimentaires n’est pas
accessible à l’ensemble des populations. Les niveaux
élevés de sous-alimentation, dans certaines montagnes
(Andes, Himalaya…) sont dus notamment à
l'inaccessibilité, la complexité et la fragilité de
l'environnement ainsi qu’au degré de marginalisation de
leurs habitants. Souvent, les décisions politiques
relatives à la gestion des ressources sont prises au
niveau d’une administration centrale et ne tiennent pas
toujours compte des intérêts réels des communautés
montagnardes. Les enjeux économiques et sociaux, de
l'exception montagnarde, impliquent la nécessité
d’adapter des politiques de santé appropriées, les
environnements montagnards exigent une approche du
développement différente de celle adoptée dans les
plaines. Ils nécessitent, de la part des responsables,
des lois spécifiques fondées sur des connaissances et
des études propres aux montagnes. Créée en 1945, la FAO
veille à ce que les programmes répondent aux besoins, à
long terme, des communautés montagnardes et favorisent
la protection de leurs écosystèmes. Ces travaux
permanents couvrent la gestion des bassins versants,
l’élevage, le rôle des femmes dans le développement, la
sécurité alimentaire, l’éducation, la politique et
quantité d’autres questions cruciales pour les
écosystèmes et la vie en montagne.
Michèle Aquaron
Contact presse UEE 2006
Association des Anthropologues de l'Arc Alpin- A4
Organisation
UMR 6578 Adaptabilité humaine : Biologie et
Culture - CNRS/Université de la Méditerranée -
Faculté de Médecine - Centre - Marseille
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