Alors que le versant semble se
stabiliser, le Grand Tunnel du Chambon
est fermé depuis maintenant six mois. Six mois terribles de galère
pour les habitants de la haute Romanche (1,2).
Le trafic routier a été complètement interrompu et l'Oisans a été
coupé en deux. L'impact économique a été terrible de part et d'autre
avec un tourisme frappé de plein fouet. En premier lieu pour La
Grave et Villar-d'Arêne, où la saison touristique a été mauvaise,
mais aussi pour la vallée de la Guisane (-30 % de perte de chiffres
d'affaires selon certaines informations) et pour l'Oisans en général
où la station des Deux-Alpes a été privée de sa clientèle italienne.
Les impacts psychologiques et sociaux sont plus difficilement
quantifiables. La commune de la Grave avait déjà vu sa population
baisser, on peut craindre une nouvelle baisse à court terme et un
lourd traumatisme difficile à évacuer à plus long terme.
Néanmoins des palliatifs ont été mis en place pour permettre aux
habitants de franchir le lac de barrage. D'abord des navettes
lacustres, puis des navettes héliportées, enfin à nouveau des
navettes lacustres. Tout ceci a été très mal vécu par les
utilisateurs à cause des mauvaises conditions, de la nécessité
d'avoir un véhicule de chaque côté et des contraintes horaires, sans
compter l'impression de ne pas être considéré. Les difficultés ont
culminé au début du mois de juillet lorsque l'imminence de
l'éboulement a forcé les gens à emprunter des chemins de montagne à
l'aller et au retour. Heureusement ensuite les navettes héliportées
ont amélioré la situation avant que de nouveaux bateaux mieux
agencés prennent le relais dans des conditions plus confortables
avec l'installation de pontons, mais à nouveau mises à mal suite à
la baisse du niveau du lac et à l'obscurité.
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Retour en arrière
Remarque préalable. Beaucoup font démarrer l'historique à la
construction du tunnel, en essayant d'y voir des relations de causes
à effets. Il convient de préciser que l'instabilité de la falaise de
la Berche, cause directe des désordres ayant provoqué la fermeture
du tunnel, est indépendante de l'existence du tunnel et a des causes
géomorphologiques plus complexes qui ne vont pas manquer d'être
étudiées (3).
Le 10 avril 2015, les capteurs et l'observation indiquent des
désordres (sic) dans la voûte du tunnel du côté de La Grave qui
conduisent le préfet de l'Isère à prendre un arrêté de fermeture de
la route départemental 1091 (RD1091).
Suite à la prise en charge par le conseil départemental de l'Isère
et à une analyse d'urgence, une première date de réouverture est
annoncée pour le 15 juin.
Des navettes lacustres sont mises en place pour permettre d'aller et
venir. Le service est d'abord assuré par des zodiacs des pompiers à
partir du 17 avril puis par des bateaux appartenant à une société
privée à partir du 30 avril. Les conditions de transport sont
précaires.
Le 11 mai, devant l'aggravation des désordres, la date de
réouverture du tunnel est repoussée au 10 juillet et une nouvelle
technique utilisant un sarcophage de béton est envisagée.
Le 14 mai, le collectif « les otages du
Chambon » réunit deux cents personnes pour protester contre la
fermeture du tunnel.
Le Tunnel du Galibier est ouvert avec
10 jours d'avance sur le planning initial pour offrir un nouvel
accès depuis le nord.
Le 21 mai, le « Collectif du Chambon »,
également nommé « les naufragés du Chambon », qui réunit des
habitants et des professionnels de l’Oisans, de la Haute Romanche et
du Briançonnais, rassemble 300 à 350
personnes à Grenoble. Un pont flottant pour les voitures est
demandé.
Le 30 mai, devant les risques
d'effondrement de la voûte, celle-ci va devoir être préalablement
démolie sur sa partie la plus endommagée, soit sur 24 des 756
mètres du tunnel. Aucune nouvelle date d'ouverture n'est indiquée,
mais l'inquiétude et l'angoisse grandissent pour la saison d'été et
le passage du Tour de France le 25 juillet.
Le 19 juin, devant l'amplification des désordres et l'accélération
du glissement de terrain, évalué alors à 100 000 m3, le Conseil
départemental de l'Isère décide le financement de la construction
d’un itinéraire bis sur le versant opposé du tunnel pour un montant
de 5 millions d’euros, en plus des travaux dans le tunnel (1,4
millions d'euros), des navettes lacustres et des mesures en faveur
de l’activité touristique de l’Oisans et des entreprises en
difficulté. Cet itinéraire de secours sera une route goudronnée où
la circulation sera alternée.
Le 23 juin, devant les signes avant-coureurs d’un glissement de
terrain de plus grande ampleur, les travaux dans le tunnel sont
interrompus à l’extérieur du tunnel. Les navettes sur le lac du
Chambon sont également suspendues à compter du 24 juin et « jusqu’à
nouvel ordre », et la circulation est interdite sur les pistes de
Cuculet et des Aymes.
Le 23 juin, la fermeture du tunnel, ses conséquences, et les moyens
d'y remédier ou de les atténuer sont prises en compte au niveau du
gouvernement.
Le 25 juin, la société du Tour de France annonce la modification du
parcours de l'étape qui n'empruntera pas le Col du Galibier et la
vallée de la Romanche.
Durant la dernière semaine de juin, le problème change de dimension
avec la perspective d'une fermeture de longue durée et la mise en
place des premières actions de solidarité par l'Agence de
développement des Hautes-Alpes, et le risque grandissant d'un
glissement imminent de grande ampleur.
Le 1er juillet, le maire de La Grave clame sa colère dans une
lettre poignante.
Le 2 juillet, un glissement de terrain de 800 000 m3 est annoncé
pour le week-end des 4 et 5 juillet. L'administration et le
Collectif du Chambon s'opposent sur les risques de tsunami lors du
glissement.
Les 4 et 5 juillet, toute la presse et de nombreux badauds se sont
regroupés à Mont-de-Lans afin d'observer la catastrophe annoncée.
Mais à peine quelques centaines voire un millier de m3 descendent au
lac. On entre dans le scénario d'un glissement progressif et lent.
Le 6 juillet, des navette héliportées, financées par la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur et organisées par les municipalités, sont
mises en place pour les habitants de la haute Romanche qui
travaillent en aval.
Le 6 juillet, une réunion pilotée par le
préfet de région, dont le départ sera annoncé peu après, tourne à la
cacophonie. Mais le 8 juillet, une réunion à la préfecture de
l'Isère acte la construction de la route de secours en rive opposée
par le conseil départemental de l'Isère.
Le 9 juillet, la Société française du tunnel routier du Fréjus
accepte enfin, après de nombreuses démarches, d'accorder un tarif
préférentiel de 10,26 € par trajet aux habitants du pays
briançonnais. Le 15 juillet, ce tarif est étendu aux touristes. Ce
tarif devrait être applicable jusqu'aux vacances de la Toussaint.
Le
24 juillet, le premier ministre se rend à Mont-de-Lans, puis à
La Grave et Villar-d'Arêne, à la rencontre des habitants, des
socioprofessionnels et des élus et assure la population de la
solidarité nationale.
Dans la nuit du 26 au 27 juillet, le pan de montagne se
morcèle et les plaques commencent à glisser progressivement dans le
lac. Environ 400 000 m3 finissent par descendre dans le lac, sans
effet spectaculaire et sans tsunami.
Il semble que les 2/3 du glissement ait eu lieu, il reste encore, en
haut à droite, deux compartiments qui n'ont pas glissés, de l'ordre
de 250 000 m3.
Le
1er août, l'état de catastrophe naturelle est publié au Journal
officiel. Il concerne les communes de La Grave,
Villar-d’Arêne et Le Monêtier-les-Bains pour les conséquences des
« mouvements de terrain (hors sécheresse géotechnique) du 10 avril
2015 au 29 juillet 2015 ».
Les travaux de réalisation de la route de secours en rive opposée
ont démarré et la date prévisionnelle d'ouverture au trafic est
fixée à la fin du mois d'octobre.
Le
4 août, il se confirme que le glissement a considérablement
ralenti, comme si le plus gros était passé. Il reste toutefois
200 000 m3 très instables mais qui ne glissent plus qu'à 5 cm/jour
dans le secteur qui a déjà glissé et entre 1,3 et 1,7 cm/jour dans
les autres secteurs. De quoi relancer les navettes lacustres alors
que les navette héliportées continuent.
Le 18 août, les navettes lacustres, suspendues le 24 juin,
redémarrent avec la mise en place d’embarcations adaptées et
l'amélioration des conditions d’embarquement. Les navettes
héliportées cessent.
Le 29 août, un concert de solidarité est organisé à La Grave et le
30, c’est l’association des acteurs économiques de Gap Sud qui
organise une sortie en car à destination de la haute Romanche.
Le 1er septembre, le président du Conseil départemental de l'Isère
annonce l'abandon de la réparation de la portion endommagée du
tunnel et le percement d'un tunnel de dérivation. De 756 mètres de
longueur actuellement, le nouveau Grand Tunnel du Chambon passerait
ainsi à 985 mètres. Pour un coût de 20 à 25 millions d’euros, il
permettrait d’envisager une réouverture de la RD 1091 pour l’hiver
2016-2017, sous réserve de financement par les régions Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte d'Azur et par l'État.
Le 7 septembre, le dossier est remonté au niveau du préfet
coordinateur du massif des Alpes par les présidents des régions
Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur pour qu'il pilote un
projet global.
Le 25 septembre, le Centre d'études des tunnels (CETU) a analysé les
études de faisabilité du tunnel de dérivation et est d’accord avec
les expertises diligentées par le conseil départemental de l'Isère.
Le tunnel serait ouvert en deux phases : une ouverture
« partielle provisoire »
du tunnel en décembre 2016 pour l’hiver 2016-2017 et une ouverture
définitive pour décembre 2017.
Le 1er octobre, la Chambre de commerce et d'industrie des
Hautes-Alpes a présenté au conseil départemental de l'Isère un
projet de purge de la falaise de la Berche et d'ouverture du tunnel
par le haut dont l’étude de faisabilité a été demandée par le
préfet.
Le 2 octobre, le glissement est très ralenti, sans doute à cause de
la baisse du niveau de l'eau, de l'ordre de quelques millimètres par
jour à un centimètre selon les compartiments.
Le 15 octobre, l'éperon rocheux est franchi et les équipes qui
travaillaient de part et d'autre se sont rejointes. La mise en
service de la route de secours sur la rive opposée devrait avoir
lieu au cours de la première quinzaine de novembre, soit avec une
quinzaine de jours de retard, mais au gabarit plus large et mieux
revêtue, au prix de 1,7 million d'euros supplémentaires.
Le
19 octobre, après l'avoir réclamée, puis avoir dit pis que
pendre de la route de secours, qualifiée de
« proute » (pour piste-route),
le Collectif infléchit sa communication dans l'attente de son
ouverture.
Tunnel du
Chambon - Route de secours en rive gauche et tunnel de
dérivation |
|
Document
Alpes 1 |
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Et maintenant...
La prochaine échéance est donc l'ouverture de la route de secours
sur la rive opposée au cours du mois de novembre. Longue de
5,3 km et large de 5,50 m sur les 9/10 de sa longueur, cette route
enrobée pourra absorber le trafic local,
« tel qu’il est 90 % du temps »,
à ceci près que l’accès aux poids-lourds sera limité à la desserte
locale et aux véhicules de moins de 19 tonnes. Deux sections de 400
m et 200 m avec une largeur inférieure ne permettront pas le
croisement des véhicules. Ils se franchiront soit à vue, soit avec
un alternat en périodes de pointe (en cours d'étude).
Cela ne résoudra pas tout, n'effacera pas les traumatismes et les
pertes, mais permettra aux habitants de pouvoir au moins aller et
venir et peut-être de reprendre espoir et de revivre plus
normalement.
Mais « les dégâts humains n'ont pas de prix » (4)
et il faudra du temps aux habitants pour se reconstruire et aux
professionnels pour se relancer.
L'inquiétude demeure concernant la saison touristique hivernale car,
d'une part, le débit de la route de secours aura du mal à absorber
les trafics d'arrivée et de retour des vacanciers et, d'autre part,
la route elle-même sera soumise aux risques d'avalanche. Néanmoins,
elle offre un espoir après six mois de galère.
Quant au tunnel de dérivation, bien qu'il ne fasse pas l'unanimité,
si on veut bien laisser de côté les questions politiciennes et les
solutions-miracles, il offre une solution définitive mais à
condition de l'intégrer dans un projet global de réfection de la
totalité de la route départementale 1091, qu'il serait plus
qu'opportun de requalifier en route nationale 91.
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Réflexions
Plusieurs réflexions ont déjà été mentionnées dans mes articles du
14 mai et du
1er juillet. Elles sont
toujours d'actualité, mais les trois plus importantes concernent :
1. L'organisation territoriale dont l'épisode a démontré
l'inadéquation.
À observer les réactions et les
difficultés, il apparaît que la haute Romanche est plus tournée vers
ou tributaire du reste de l’Oisans et de l’Isère que du Briançonnais
et des Hautes-Alpes (5). Il faudra bien
analyser cette situation et en tirer éventuellement les
conséquences. Après six mois, il n'y a pas eu d'adaptation à la
coupure et il ne semble pas que la haute Romanche soit devenue plus
briançonnaise. Bien sûr, on a constaté l'opposition du Collectif du
Chambon au Conseil départemental de l'Isère, mais les critiques les
plus virulentes à son égard proviennent de ses membres isérois qui
habitent au Freney-d'Oisans (6).
Par ailleurs, du côté des Hautes-Alpes, le rattachement de l'ancien
canton de La Grave à celui de la vallée de la Guisane n'a
apparemment pas pris et les oppositions à leurs élus haut-alpins
sont fortes. La Grave et Villar-d'Arêne sont restés fondamentalement
uissans et l'épreuve les a au contraire rapprochés du bas de leur
vallée.
2. La communication où la
« victimisation »
l'a emporté sur la « valorisation »
(7). Ce
n'était pas facile quand on est en colère ou en plein désarroi (8)
car il fallait tout à la fois communiquer pour faire valoir les
revendications et maintenir l'attractivité touristique du
territoire, tout en contenant au mieux les impacts des
communications des médias. Le Collectif du Chambon, qui réunit des
habitants et des professionnels, la tête dans le guidon ou plutôt
sous l'eau, a privilégié la première approche au détriment de la
seconde. Sa communication s'est ainsi focalisée sur la moquerie,
voire sur le dénigrement, des élus, des administrations et des
experts, ce qui lui a fait perdre beaucoup de crédibilité (9).
On peut y voir une soupape de sécurité mais cela a tendu les
relations entre les uns et les autres. La communication des médias a
de son côté monté en épingle à la fois les difficultés d'accès et
cet aspect croustillant de « naufragés » ou d'« otages ». La
fermeture du tunnel s'est vite transformée en fermeture du Col du
Lautaret, voire du Col du Galibier après la modification du parcours
du Tour de France. En définitive, il y a eu un excès de
communication négative anxiogène et un défaut de communication
positive attractive. Tout le monde y a sa part de responsabilité,
mais on comprend encore mal pourquoi les habitants des régions du
sud ou du Piémont n'ont pas fait et ne font pas l'objet d'une
campagne de communication spécifique, c'était et c'est toujours le
bon moment pour venir en haute Romanche !
3. L'attractivité touristique de la
haute Romanche dont l'épisode a montré la fragilité (10).
La Grave et Villar-d'Arêne pensaient qu'il leur suffisait de citer
la Meije pour établir leur notoriété. On découvre au contraire
qu'ils étaient un lieu de transit et non de séjour. Pourtant
leur principal handicap touristique, à savoir le passage des camions
et des camping-cars, a disparu (!). De nombreuses vallées fermées et
difficiles d’accès vivent aussi du tourisme en mettant en avant
leurs atouts spécifiques. Ici, des handicaps ont disparu et des
atouts sont apparus et inversement, une nouvelle communication est
donc indispensable. La haute Romanche doit à l'évidence se créer une
nouvelle notoriété en tant que lieu de séjour et non plus seulement
en tant que lieu de passage et très vite effacer l'impact négatif de
sa « communication de victimisation » (11).
Pour cela il va falloir construire un nouveau projet pour la haute
Romanche, et peut-être autour d'une future nouvelle commune, en
n’hésitant pas à changer de paradigme.